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Marie-George Buffet intervient ce jour au Bundestag pour sortir lâEurope de lâornière libérale et ouvrir un nouvel avenir, une refondation démocratique et solidaire de lâUnion européenne.
Le texte de son intervention :
Marie-George Buffet au Bundestag
Chers amis,
Vous comprendrez le plaisir, lâhonneur et lâintérêt que représente pour moi cette rencontre dâaujourdâhui au Bundestag.
Je remercie tout particulièrement Oskar Lafontaine, Gregor Gysi et Lothar Bisky de me donner lâoccasion, de mâexprimer, ici à Berlin, sur la façon dont je vois lâavenir de lâEurope.
Le cadre et le lieu sont propices à la confrontation dâidées. Avec la présidence allemande du Conseil sâouvre une phase de deux années particulièrement importantes qui débouchera au printemps sur les élections européennes. Entre-temps, au deuxième semestre 2008, la France aura assuré la présidence de lâUnion avec, je me bats pour cela, la volonté de porter jusquâau coeur des institutions européennes le sens profond du Non des Françaises et des Français !
Ce mois-ci, les commémorations du 50ème anniversaire du Traité de Rome donneront lieu également à toute une série dâinitiatives. Pour certains, cet anniversaire sera dâabord lâoccasion de célébrer cinquante ans de construction institutionnelle de lâEurope, cinquante années de simple progression vers lâEurope de la paix et de la prospérité. Cette vision de la construction européenne nâest, je crois, plus vraiment dâactualité. Dâabord, elle me paraît dâun autre temps : lâEurope ne peut plus avoir pour objectif de panser ou de dépasser les blessures de son histoire. Partout dans le monde, elle doit évidemment rester une des premières ambassadrices de la paix. Mais, réjouissons-nous en évidemment, la réconciliation franco-allemande ou la réunification de lâEurope sont derrière nous. Les équilibres mondiaux ont été bouleversés. En cinquante ans, tout a changé !
Et sâil y a aujourdâhui un grand besoin dâEurope, câest bien pour de nouvelles mais tout aussi importantes raisons : ensemble, nous avons de meilleures chances de répondre aux enjeux de notre temps.
Cette vision traditionnelle de la construction européenne est aussi erronée : comment ne pas voir combien la construction européenne fut petit à petit dévoyée dans la promotion, souvent très dogmatique, dâun ordre économique régi par les seules dogmes du libéralisme économique, entraînant par là même lâessoufflement du projet européen ? Je pense évidemment à la mise en concurrence des peuples, au dumping social et fiscal et plus largement à la soumission de nos vies aux logiques de la rentabilité financière. Ainsi, pour Airbus. Câest un groupement européen, reposant sur la coopération étroite entre notamment la France et lâAllemagne, portée par une grande ambition industrielle, qui a permis le décollage de lâavionneur européen. Airbus sâest ainsi hissé au niveau du Boeing pour symboliser lâimmense potentiel de ce que ensemble, les uns aux côtés des autres, nous pouvions faire en Europe.
Et puis, fidèle aux logiques libérales et financières dominantes, ils ont privatisé Airbus. Et moins de dix ans après, lâA380 connaît de grands retards et dix mille emplois sont menacés partout en Europe. Et des gouvernements, de chaque côté du Rhin, opposent désormais les salariés Français aux salariés allemands, à mille lieux de lâesprit de coopération et dâentraide entre les peuples fondant pour moi le projet européen. Nous le savons. Ce nâest pas en opposant les sites dâAirbus les uns les autres ni en jouant sur les rivalités nationales que lâon parviendra à relancer Airbus. A ce titre, comme nous avons demandé en France le retrait du plan Power 8, je salue lâinitiative des députés de la « Linke » qui défendent aujourdâhui une motion pour la sauvegarde des emplois et de lâunité dâAirbus.
Seule une nouvelle gestion, à lâabri des logiques financières et des exigences des actionnaires, pourra protéger lâemploi, préparer lâavenir en décidant de nouveaux investissements dans lâindustrie aéronautique. Câest le sens de notre proposition dâune entreprise publique européenne : sous le contrôle des salariés et des élus, il serait à nouveau possible de mobiliser les fonds publics nécessaires pour un développement socialement et écologiquement responsable de toute notre industrie aéronautique, des sous-traitants jusquâà Airbus.
Derrière ce terrible exemple, on voit bien que la conception même de la construction européenne est en débat.
La profonde crise qui traverse lâEurope nâa pas été provoquée par les NON français et néerlandais. Ces votes en ont plutôt été le symptôme et lâexpression. Je suis convaincue que le rejet du traité constitutionnel est fondamentalement salutaire. Il a permis la prise de conscience du dévoiement du projet européen dans cette fuite en avant libérale. Il a entravé lâinstitutionnalisation des règles du capitalisme financier pour lâensemble des pays européens. Il a signifié le refus majoritaire de politiques toutes entières tournées vers la seule remise en cause de tous ces acquis sociaux et démocratiques arrachés par le mouvement ouvrier.
Ne perdons pas non plus de vue que lâélargissement de lâUnion européenne, notre grand espoir dâune Europe réunifiée autour des mêmes valeurs et dâun même projet collectif, est aussi fragilisé par la violence des politiques libérales. Ce sont de grandes parties des populations de lâest de lâEurope qui sont également plongées dans un immense malaise social, politique et idéologique.
Ainsi, la crise de lâUnion européenne nâest pas simplement institutionnelle. Il faudrait être irresponsable pour prétendre que le seul « règlement intérieur » de lâUnion est en débat. Ce qui doit être mis sur la table, câest bien lâorganisation de lâEurope autour dâobjectifs politiques dâune autre époque ; câest bien la critique de ces dogmes libéraux qui sèment partout sur le continent les mêmes régressions, les mêmes précarités et la même pauvreté.
Aussi, toutes les tentatives visant à sauver la Constitution européenne ou à en imposer une version abrégée sont illégitimes. Ce projet constitutionnel est caduc suite au vote démocratique des Français et des Néerlandais. Mais elles sont aussi hors sujet : les mêmes politiques, les mêmes recettes, les mêmes méthodes conduiront toujours aux mêmes impasses.
Si lâon veut relancer lâEurope, il faudra dâabord la changer !
Si lâon veut donner à lâEurope les moyens de se tourner vers lâavenir et de répondre aux grands défis qui nous sont posés aujourdâhui, il faudra la réorienter en profondeur ! Les grandes priorités de ce projet renouvelé se dessinent à partir de la vie même. Elles ont pris racine dans les mobilisations contre la directive Bolkestein et la précarité, pour la défense du service public ou contre la guerre dâIrak. Elles ont pris corps dans des multitudes de forums et dans le bouillonnement des débats sur les alternatives au traité constitutionnel.
Sortir lâUE de lâornière, comme vous le dites dans votre mémorandum, Oskar et Gregor, passe par la démocratie, la liberté, un haut niveau de protection sociale, lâaction de lâEurope pour la paix. Je pense comme vous que la gauche doit y contribuer avec une grande détermination.
Ainsi, face au chômage, à lâinsécurité sociale et à la pauvreté généralisés partout sur le continent, lâEurope ne devrait-elle pas se fixer une immense ambition en matière de développement de lâindustrie et des services, génératrice dâemplois stables et qualifiés, plutôt que de miser sur le moins-disant social et la course à rentabilité ? Ne devrait-elle pas chercher à soutenir la recherche et lâinnovation pour mieux maîtriser notre développement économique ?
Cette ambition, je la revendique pour Airbus. Mais bien plus largement, les pouvoirs publics, et avec eux les salariés et les citoyens, devraient disposer de tous les moyens juridiques et financiers pour orienter, démocratiquement, tout notre développement économique vers la seule satisfaction des besoins humains !
La question de lâeuro, de la BCE et du pacte de stabilité est souvent venue au premier plan de lâactualité. Je sais que le sujet est particulièrement sensible en Allemagne. Pour ma part, je suis convaincue quâil sera impossible de répondre à cette ambition sans mettre la BCE au service de lâemploi et dâune croissance nouvelle et donc sans la placer sous contrôle démocratique.
Mais plus largement, devant la profondeur de la crise écologique en Europe et dans le monde, câest toute notre conception du développement que nous avons à réinventer. La responsabilité de lâEurope est, en la matière, particulièrement décisive. Je pense notamment à la question de lâénergie. Face aux OPA et à la constitution de grands trusts privés, la création dâune véritable Europe publique de lâénergie sâimpose, tant pour assurer la sécurité de nos approvisionnements que pour préparer lâavenir en soutenant notamment la recherche et la diversification de nos sources énergétiques.
Derrière toutes ces questions, câest aussi le rapport de lâEurope au monde qui est posé. Jâattends en effet de lâEurope quâelle porte partout dans le monde un message de paix et de respect des droits des peuples, notamment au Proche-Orient.
A lâopposé de toute militarisation, en dehors de toute tutelle de lâOTAN ou des Etats Unis avec lesquels les relations doivent être basées sur le principe de lâindépendance, lâEurope doit prendre dâimportantes initiatives en faveur de la paix, du désarmement, de la solution politique de conflits, de leur prévention en coopération avec lâONU.
Jâattends quâelle rapproche enfin les deux rives de la Méditerranée en créant les conditions dâun véritable co-développement avec lâAfrique. Soyons en sûrs : nous ne vivrons pas mieux ici tant quâils ne vivront pas mieux là-bas. Jâattends donc de lâEurope quâelle change le cap du partenariat Euro-Méditerranée et plus largement quâelle repense toute sa politique en direction des pays du sud. Il est grand temps dâaider tous ces pays à tourner leur activité vers la satisfaction de leurs propres besoins, notamment en matière dâeau, dâalimentation, de santé ou dâéducation. Jâattends aussi de nouvelles coopérations culturelles et donc, à travers tout ses engagements, la réorientation en profondeur des buts et des missions de lâOrganisation Mondiale du Commerce. Ce sont sur ces orientations que nous pouvons agir !
Voilà ce que je propose : un nouveau traité fondateur de lâUnion. Un nouvel édifice institutionnel suffisamment solide et démocratique pour ne pas laisser le champ libre à la concurrence, et au contraire répondre à ces grands défis de lâhumanité, lâurgence sociale, lâurgence écologique, lâurgence à bâtir un monde de paix et de solidarités.
Pour cela, les compétences des Parlements dâEurope seraient élargies ; la conception traditionnelle de la coopération intergouvernementale serait dépassée par le développement de nouvelles formes dâimplication directe des citoyens ; le principe de subsidiarité serait redéfini pour fonder sur dâautres bases les rapports entre les Etats et lâUnion ; lâaccès à lâinformation et lâexercice du pluralisme seraient garantis. Une nouvelle Charte des droits, dont lâapplication serait impérative dans lâensemble de lâUnion, garantirait notamment une harmonisation de tous les droits civils et sociaux par le haut. Ne nous cachons pas la difficulté. Câest un long combat qui exige de changer les rapports de force en Europe et dans chaque pays ! Nous savons que ces idées progressent, mais que les rapports de force politiques restent souvent défavorables.
Lâexpérience du référendum en France et aux Pays-Bas le montre : il est possible de créer les conditions dâun vaste débat public et contradictoire dans toute la société sur les enjeux européens.
Aussi, tous et toutes ensemble, avec lâengagement résolu du parti de la gauche européenne et du groupe GUE / GVN, je suis certaine de notre capacité commune à organiser la grande confrontation démocratique qui pourrait, à nouveau, préluder de grandes victoires !
Dès lors que les citoyens sont en situation de se prononcer en connaissance de cause, la critique grandit à toute allure, non pas contre lâEurope en soi, mais bien contre son orientation libérale !
Je propose donc que la Commission ait mandat dâorganiser ce débat pour un nouveau traité à lâéchelle européenne, et ce dans la plus grande transparence. Le Parlement européen comme chacun des Parlements nationaux devrait être consulté. Les grands axes de ce traité, élaborés dans le dialogue avec toutes les organisations syndicales, sociales et citoyennes des 27 pays membres, pourraient constituer lâenjeu des élections européennes du printemps . Le nouveau Parlement serait alors consulté, comme tous les Parlements nationaux. Câest seulement dans ces conditions que les citoyens, partout en Europe, pourront faire leur choix en toute clarté. Le moment venu, ce traité devra être ratifié par référendum. Pour ma part, je propose quâil le soit dans tous les pays de lâUnion.
Dans cette période, je souhaite que la présidence française de lâUE contribue résolument à ce chantier et fasse ainsi clairement sortir les différents choix politiques, sans masquer les clivages ni la nature des confrontations.
Jâavance aussi la proposition que le nouveau gouvernement de gauche pour lequel je me bats, en France, adresse dès mai/juin 2007 un appel solennel aux autres peuples européens à constituer un front commun pour affranchir la construction de lâEurope des obstacles que font aujourdâhui peser les dogmes du néolibéralisme. Câest par les luttes sociales et politiques, les mobilisations communes que nous ferons avancer la constitution dâun espace politique européen, dâune volonté politique qui puisse à lâéchelle européenne et dans chaque pays faire changer le cours des choses. Je suis convaincue quâune telle démarche offensive, publique aurait du répondant.
Dans ce sens, lâélection présidentielle en France constitue un enjeu européen. Mon engagement dans cette campagne, je le situe clairement dans le prolongement de notre bataille contre le TCE que nous avions engagée dès 2003.
Ce qui a été possible le 29 mai, lâantilibéralisme majoritaire à gauche et dans le pays, cela reste notre objectif politique. Câest notre ambition ; le sens de ma candidature à lâélection présidentielle. Rien ne saurait nous détourner de notre objectif de rassembler le plus large éventail de forces sociales et politiques progressistes, afin de faire avancer ces idées de changement. Câest vrai pour la France. Câest vrai aussi pour lâEurope. Voilà, chers amis, les quelques réflexions dont je voulais faire part, ici, à Berlin, dans ce Bundestag si chargé dâhistoire. LâEurope est devenue dans la vie politique française un enjeu. Je mâen félicite. Mais cela accroît nos responsabilités, à gauche. Car jâen ai lâintime conviction, comme jamais depuis le début de lâaventure européenne, pour continuer lâEurope, il faut rendre lâEurope aux citoyens !