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Il y a 60 ans la Libération de Bourges
29 août 2004
par Yannick Bedin
BOURGES EST LIBÉRÉE
6 septembre 1944, Bourges est libérée de lâoccupation allemande. Une libération moins épique que celle de Paris, mais qui est le fruit de la lutte que menèrent les combattants de la liberté, et parmi eux les communistes, pendant les quatre années dâoccupation que la France et le Cher ont connu.
Le 6 septembre 1944 au matin, près de Menetou Salon, le colonel Colomb (A.de Vogüé), responsable des FFI du Cher Nord, est prévenu que lâarmée allemande a quitté Bourges. Il donne lâordre de faire converger vers la capitale du Berry les maquisards massés à Menetou mais aussi à Ivoy le Pré, aidés par des hommes du 4ème Bataillon de parachutistes. Ils sont rejoints par les FTPF du colonel Hubert.
Lâarmée allemande a bien évacué la ville de Bourges, après avoir détruit les casemates des Etablissement militaires et incendié des bâtiments. La Kommandantur a quitté la ville le 3 septembre.
Il faut dire que depuis plusieurs mois, notamment depuis le débarquement en Normandie, les combats de la Résistance se sont intensifiés contre lâoccupant, notamment durant le mois dâaoût 1944. Lâarmée allemande nâest plus nulle part en sécurité. La Résistance, et en premier lieu les FTP, animés par les communistes, les mieux organisés et les plus expérimentés par déjà plusieurs années de combats, harcèlent lâarmée allemande et ses valets. Déraillements de trains de transports de troupes, sabotages, embuscades se multiplient tout lâété dans le département. La répression nazie elle aussi sâintensifie, à lâimage de la rafle des Juifs à Saint-Amand le 21 juillet, dont la plupart seront exécutés aux Puits de Guerry.
La prise de Bourges fut relativement facile : quelques escarmouches opposent aux alentours de la ville les résistants et quelques soldats allemands, qui finissent par se rendre.Très vite la population berruyère manifeste sa joie, pavoise de couleurs tricolores et de celles des alliés anglais, américains et soviétiques, les rues de la ville. Le siège de la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchevisme) rue Moyenne, celui de la Milice rue Calvin ou de la librairie allemande sont saccagés. Le soir du 6 septembre, le Colonel Colomb fait placarder sur les murs de la ville, un texte destiné aux Berruyers :
« Lâoccupation de votre ville par lâennemi a pris fin le 6 septembre 1944 (...). Votre ville a été libérée par les Forces françaises libres avec le concours du 4ème Bataillon de parachutistes français. Après un long cauchemar de quatre années, lâennemi et ses acolytes ont pris la fuite. »
Le 7 septembre, le comité départemental de libération (CDL) est réunit et organise le ravitaillement en blé de la ville. Le CDL, constitué quelques mois auparavant dans la clandestinité, est présidé par Marcel Plaisant, Sénateur du Cher avant guerre (il fut un des 80 parlementaire à refuser les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940). Il a pour Vice-président Marcel Cherrier, représentant le PCF. Le CDL rassemble toutes les composantes de la Résistance. Il désigne Charles Cochet, ancien député SFIO, maire provisoire de la ville. La liberté retrouvée, la guerre nâen était pas pour autant finie ; nombre de Résistants la poursuivirent aux côtés des forces françaises et alliées jusquâen Allemagne.
LE PCF EN PREMIERE LIGNE
Le rôle du PCF dans le Cher durant cette période est capital, comme partout en France, dans la Résistance à lâoccupation et au nazisme.
Le PCF est dans la clandestinité depuis septembre 1939, date de lâentrée en guerre de la France. Le prétexte de son interdiction par le gouvernement est connu : depuis la signature du Pacte de non agression germano-soviétique en août 1939, et lâattaque conjointe de la Pologne par lâarmée allemande et lâarmée soviétique, le PCF est considéré comme un parti ayant trahi les intérêts de la France. Pourtant, lâHumanité du 26 août (sortie trois jours après la signature du Pacte) titrait en une :
« Union de la nation française contre lâagresseur Hitlérien. »
Le journal est saisi dès sa sortie comme tous les journaux communistes (lâEmancipateur, hebdo communiste du Cher, est saisi le même jour). Le PCF est pourtant le seul parti qui nâa jamais failli dans la lutte contre le fascisme : il a activement organisé dès 1936, la solidarité avec lâEspagne républicaine agressée par lâAllemagne nazie et lâItalie fasciste qui soutenaient Franco ; il a mené campagne contre les accords honteux de Munich de 1938, permettant à Hitler dâenvahir les Sudètes en Tchécoslovaquie (accords signés par la France, lâAngleterre, lâItalie et lâAllemagne). Durant ces années, le PCF prône une alliance des démocraties occidentales avec lâURSS contre Hitler, en vain. Ces dernières semblent nâavoir comme seul ennemi que le communisme (ce qui explique en partie leur non intervention en Espagne).
En septembre 1939, des militants communistes du Cher sont arrêtés. Les conseils municipaux à direction communiste sont dissous (Vierzon, Saint-Florent, Beffes...). Les conseillers généraux communistes sont destitués. Le député communiste du Cher Gaston Cornavin est arrêté le 1er décembre 1939 et condamné à 5 ans de prison ; il est déporté dans un bagne du Sud de lâAlgérie.
Le PCF se réorganise dans le Cher dans la clandestinité, grâce à lâaction dâune militante originaire du Cher, venue de Paris. Zélia Duchêne noue des contacts avec des militants non mobilisés dans lâarmée. Elle organise les premières distribution de tracts. Le retour des militants mobilisés permet la mise en place dâun réseau de militants autour de Marcel et René Cherrier, Jacques Kaiser, Louis Chevrin, Jeanne Boiteau.... En décembre 1940 le Préfet du Cher note dans un rapport :
« le Parti communiste du Cher est la seule organisation politique faisant preuve dâune activité qui ne soit pas individuelle ou isolée. »
Les premiers actes consistent à diffuser des tracts ou le journal lâEmancipateur, clandestinement. En décembre 1940, on peut lire dans le journal communiste :
« A bas le gouvernement de Vichy. Exigez la constitution dâun gouvernement au service du peuple. Unissez vous pour une France libre et indépendante. »
Les communistes créent des comités populaires dans les entreprises pour organiser les revendications ouvrières, dénoncer la collaboration et le pillage du pays par lâAllemagne. Les Jeunesses communistes se réorganisent et distribuent ou collent des tracts. Ces distributions sont dangereuses. Ainsi le jeune Pierre Ferdonnet est condamné par contumace en 1941 à cinq ans de travaux forcés pour distribution de tracts à Vierzon ; devenu clandestin il rejoindra les maquis de Corrèze, où il sera arrêté et déporté à Auschwitz, Buchenwald puis à Flossenbürg.
En 1941, lâattaque de lâURSS par lâAllemagne ouvre des perspectives nouvelles : celle dâune défaite dâHitler. Tout est fait dès lors pour la hâter ; la lutte armée sâorganise. Le PCF met en place lâOrganisation spéciale en 1941, chargée de protéger les militants en action. LâOS fait exploser une bombe contre le siège du PPF (Parti populaire français créé par le fasciste Doriot) rue Mirebeau, en mai 1942. Le PCF dans le même temps essaie dâunir ceux qui veulent agir contre lâoccupant, sans forcément être communiste, au sein du Front national de lutte pour lâindépendance de la France. Dans la zone Nord du département, il est mis en place par André Laloue, instituteur ; câest Gaston Cassaing qui lâorganise dans le sud du Cher.
Le PCF dote le Front national dâune branche armée : les Francs tireurs et partisans français (FTPF). Le premier maquis FTP est installé en 1942 en forêt dâAllogny, sous la houlette de Marcel Cherrier. Les attentats, les sabotages se multiplient dans le département. Les FTPF gagnent en efficacité militaire ; il bénéficie en 1942 de lâexpérience de deux anciens des Brigades internationales, rompus aux techniques militaires : Henri Diaz (« commandant Bertrand ») et Marcel Lalonnnier (« Colonel Hubert ») qui constituent le maquis de Maupioux ; ils organiseront aussi dans la Résistance, les républicains espagnols réfugiés dans le Cher.
Diffusant des tracts, organisant des actions revendicatives et militaires, les militants communistes deviennent très vite la cible de la répression ; câest dans leur rang que la Résistance berrichonne comptera ses premiers martyrs. En 1942, au mois de mai sont fusillés André Giraudon, Lucien Chailloux, Jacques Massé, Jean Loth, Jacques Rivet, Maurice Lelièvre, Roger Leclerc, Roger Thebault, puis Gabriel Godard, André Bavouzet, Marcel Bidaud. Câest le 6 juillet 1942, quâAlbert Kayser, Louis Buvat, Roger Rivet et plusieurs autres camarades du Cher furent déportés à Auschwitz où les nazis les firent périr immédiatement. Louis Chevrin, Roger Melnick, Henri Jacquet, Girardot, Antonin Lérault sont fusillés en 1943. Au total, ce sont 150 communistes du Cher qui périrent fusillés, déportés, et dans les combats contre lâoccupant durant cette période.
Le préfet du Cher dans un rapport daté de janvier 1943, écrit à propos des communistes :
« Il serait vain de croire que ce parti demeure inactif. Traqué il continue son action, soutenu par une foi sans égale dans la destinée des soviets. Les succès récents marqués par les armées russes confirment leurs espoirs et leurs donnent une force nouvelle. Dans lâombre et dans le secret, mieux gardés que jamais, ils sâorganisent de plus en plus et se réorganisent lorsque leurs chefs leur sont ravis. Jamais parti, en proie cependant aux risques les plus grands, nâa montré une telle force de vitalité et de reconstruction. »
LâESPRIT DE RÉSISTANCE
Les célébrations de la Libération sont lâoccasion de rappeler lâengagement du PCF au service du peuple durant les années noires de lâOccupation. Elles sont aussi lâoccasion de rappeler lâengagement et le sacrifice de militants souvent jeunes, pour défendre avant tout leur liberté, de femmes et dâhommes qui se sont révoltés contre lâinacceptable : lâasservissement de leur pays, la destruction de la République et de la démocratie, le racisme et lâantisémitisme érigés en lois, les persécutions dont furent victimes les Juifs. Loin des cérémonies souvent figées, qui éloignent la jeunesse des réalités quâelles célèbrent, les pages à la fois tragiques et belles de lâHistoire de cette période écrites par les résistants, sont là pour rappeler ce que fut le souffle de la Résistance, qui sauva lâhonneur du pays livré à lâennemi par les traîtres. Les valeurs portées par les Résistants sont riches dâenseignement pour la période actuelle. Comme Henri Malberg lâécrivait dans lâHumanité du 24 août 2004, à propos de la Libération de Paris :
« Pour nous, communistes de tous âges, la Résistance, la Libération, câest un peu de notre âme. Nous sommes bâtis avec du matériau politique, idéologique de ce moment-là. Et jâajoute que câest beaucoup de fierté. Pour nous, il y a comme un fil qui va des luttes antifascistes de 1934, du Front populaire, à la Résistance et à notre combat dâaujourdâhui pour les droits économiques et sociaux, les libertés. Le baron Sellière, patron du MEDEF, ne déclarait-il pas récemment quâil faut en finir avec lâhéritage du programme du CNR. Câest tout dire ! Notre contribution, câest aussi un combat dâidées, pour ne pas laisser réécrire, comme on le voit ça et là, ce quâa été cette époque, son contenu réel. »
A lire sur la Résistance à Bourges et dans le Cher :
M.Cherrier, M.Pigenet : Combattants de la liberté, Editions sociales, 1976
La Résistance dans le Cher 1940-1944, ouvrage collectif, SCEREN-CRDP Orléans-Tours, 2002