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Budget de la Défense pour 2003
24 octobre 2002
Madame la Ministre, Chers Collègues,
Depuis une semaine une phrase me hante, délivrée avec lâapplication quâon lui connaît par le Ministre du Budget : « Un budget qui augmente nâest pas forcément un bon budget ».
Je nâen suis pas toujours convaincu mais quand je lis le Budget de la Défense, je me dis quâil a sûrement raison !
En premier lieu je crois quâil faut arrêter ce mauvais procès où les uns ne travailleraient quâà redresser la Défense et les autres ne penseraient quâà lâenfoncer.
De fait la Loi de Programmation Militaire 1997-2002 a été la mieux respectée depuis ces 30 dernières années et la baisse budgétaire la plus forte en matière dâArmement sâest produite entre 93 et 97. (exemple : 1996 : LFI 90 Milliards de Francs, réalisé : 75 Milliards de Francs).
Alors débattons mais personne nâa de leçon à donner.
Dâautant quâil y a malgré tout de quoi être circonspect quant aux chances de voir ce budget respecté dans la mesure où le Budget de la France est bâti sur un taux de croissance à 2,5 % alors que chacun sâaccorde pour dire quâil se situera entre 1,5 à 1,9 % et que de premiers gels de crédits auront lieu dès Janvier.
Enfin la professionnalisation nâa pas été un long fleuve tranquille. Elle a été menée dans des délais anormalement courts comparés à dâautres pays.
Cette armée professionnelle qui devait -selon certains coûter moins cher- sâest avérée un peu plus gourmande que prévu ; le Titre III aura augmenté de 14 % en 6 ans, cela nâa pas été sans conséquence pour le Titre V sur lequel en plus ont pesé les opérations extérieures et intérieures dont lâampleur nâavait probablement pas été imaginée.
Comment justifiez-vous cette augmentation du Budget de la Défense qui nâa que « peu de précédents » a déclaré le Général Kelche ? Essentiellement par trois raisons mais de nature très différente.
Il sâagirait dâabord dâaméliorer la disponibilité des matériels. Câest en effet un vrai problème et il nâest pas juste de le mettre, comme vous le faites, essentiellement sur le compte dâun manque de crédits.
Vous savez très bien que ces matériels sont davantage sollicités, que la lourdeur de la réglementation a crée dâénormes difficultés dans lâapprovisionnement des pièces détachées.
Mais au-delà de toutes ces explications cette situation tire aussi son origine de la réorganisation des Services du Matériel liée à la professionnalisation. Concernant lâArmée de Terre, en une année (1999) plus de 30 % de ses effectifs dans ces services ont disparu et tous ses régiments ont été restructurés.
Vous justifiez cette augmentation du Budget en déclarant que câest un effort nécessaire de la Nation « à la hauteur des défis de Sécurité qui lui sont lancés dans un contexte international troublé et marqué par la recrudescence du terrorisme ».
Et bien justement je ne crois pas que ce budget réponde à ces défis. Pourquoi ?
En 1er lieu parce que lâessentiel des crédits de paiement porte sur la force de dissuasion et la Projection, or comment penser que ce sont les éléments les plus pertinents de la lutte contre le terrorisme !
Et surtout vous évoquez « le contexte international troublé » mais il serait quand même important de définir par qui ? Ou plutôt pourquoi il est troublé ? « Il faut dire la vérité sur le « pourquoi » a demandé avec force le Cardinal Archevêque de Boston au Président des Etats-Unis.
Vous le savez très bien, le monde est malade, malade des inégalités qui ne cessent de se creuser puisquâen 30 ans lâécart entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres a été multiplié par 3, malade des marchés financiers prédateurs, malade aussi du comportement de certains sis à vis du tiers-monde.
Et à quelquâun qui lui disait quâil nây avait plus de grandes causes aujourdâhui, le sociologue Edgar MORIN répondait : « au contraire, câest lâépoque de la plus grande des causes : civiliser la terre ».
Et ce nâest pas militairement que se régleront ces problèmes dâun monde qui se déshumanise, câest pourquoi sâaligner de près ou de loin sur une stratégie US marquée par une vision essentiellement militaire et unilatérale de la gestion du monde ne peut être le bon choix pour la France et lâUnion Européenne.
Et nous espérons que lâépisode actuel sur lâIrak sera une leçon utile en ce sens !
Vous justifiez votre budget par la nécessité dâapporter une contribution à la construction de lâEurope de la Défense.
Mais Europe de la Défense nâa de sens que si elle est autonome, si la politique de Sécurité de lâUnion Européenne se différencie de celle des Etats-Unis, si elle impulse une politique nouvelle, un dialogue des cultures, le respect et la reconnaissance mutuels, une dynamique de développement sinon la Défense Européenne nâaurait quâà singer les Etats-Unis.
Répondre au défi de Sécurité dans ce monde, câest mettre en œuvre une nouvelle politique de Sécurité et une nouvelle politique de Défense qui repose sur :
Une politique de développement et de réduction des inégalités,
Lâabandon des concepts US de vision du monde,
Une redéfinition des missions de nos armées, en fonction de cette nouvelle approche de la Sécurité.Les missions seraient :
A. Prioritairement la Sécurité du territoire National et Européen,
B. Lâaction humanitaire et pour la Paix sous lâégide dâune ONU rénovée et démocratisée,
C. Lâintervention dans les catastrophes naturelles en France, en Europe et dans le Monde.
La « Projection » ne peut être le cœur de cette stratégie et le « nucléaire », qui nâest vraiment pas lâarme idéale de lutte contre le terrorisme, doit être maintenu à son niveau de suffisance, ceci dâailleurs en relançant une Conférence Internationale pour le désarmement nucléaire quâattendent de nombreux pays. Tout ceci permettrait de dessiner une redistribution budgétaire (au lieu dâune augmentation) avec des priorités nouvelles telles que :
La protection des approches aériennes et maritimes de la France et de lâUnion Européenne,
Lâinformation et le renseignement humain et par satellite,
Une force dâintervention pour le territoire français et Européen pourrait être mise à disposition de lâONU pour des interventions humanitaires ou de Paix, sous réserve dâune définition internationale des critères dâintervention,
Création dâun service civilo-militaire pour la Sécurité intérieure et les catastrophes naturelles,
Un développement dâune recherche duale et Européenne ce qui aurait le double avantage dâen diminuer les coûts et dâen accroître lâefficacité.
Enfin je veux aborder lâaspect économique et industriel
La logique voudrait que le budget augmentant, des emplois se créent. Rien nâest moins sûr.
Dâune part parce que lâexacerbation du marché de lâArmement est très forte, et que contrairement à ce que certains disent la concurrence y est souvent faussée. Comment être compétitif par exemple avec un pays qui est en guerre permanente et qui de plus bafoue les résolutions de lâONU ! Mais que lâon ne vienne pas expliquer que GIAT est trop cher, ça ne veut rien dire !
Dâautre part parce que les restructurations industrielles ne sont pas terminées et lâon sait ce que cela veut dire en matière dâemploi.
De plus, nous avions il y a 20 à 30 ans encore deux fleurons industriels dans lâArmement Terrestre et la marine, et on les a précipité, et on les précipite dans le champ de bataille du tout marché avec les conséquences que lâon sait pour GIAT et que lâon découvrira malheureusement pour la DCN.
GIAT est menacé dans son existence même par cette stratégie à la gribouille et il semblerait quâun nouveau plan se prépare avec des licenciements secs.
Jâai demandé au Président de la Commission de la Défense et des Forces Armées la constitution dâun groupe de travail ou dâune mission dâinformation. Il vient de répondre favorablement à cette demande et je lâen remercie mais jâaurais souhaité comme câest la tradition de notre Assemblée que tous les groupes politiques soient partie prenante de cette mission dâinformation. Or, un seul sur les quatre est représenté. De plus, jâaurais souhaité que cette mission porte sur lâavenir de lâArmement Terrestre en France et en Europe.
Je regrette, Monsieur le Président, que vous lâayez réduite seulement à GIAT, ce qui est une façon dâaborder par le petit bout une question industrielle, économique mais aussi stratégique avec la question des compétences et je pense ici notamment à lâabandon du Trigan.
Il est dâautre part assez curieux que ce que jâavais obtenu précédemment, -notamment les 5 caesars sur camion, les commandes pluriannuelles de munitions- ne figure ni dans le budget, ni dans la Loi de Programmation Militaire . (Ou encore lâintégration de la fonction feu dans la rénovation des AMX 10 RC).
Pour la DCN, et alors que le plan de charges sâannoncerait plutôt meilleur, rien ne garantit quâelle bénéficiera des commandes prévues, là aussi une fausse compétition économique risque de lâécarter de certains marchés.
Mais il y a parfois deux poids, deux mesures alors que les uns sont déclarés faussement trop chers, dâautres -a priori très compétitifs « parce que privés »- vont recevoir une manne providentielle de lâEtat pour faciliter leurs exportations.
Ainsi on aide le privé par fonds publics interposés, à être concurrentiel et on tue le public parce que les salariés gagnent trop et empêcheraient leur entreprise dâêtre compétitive. Belle logique !
Encore faut-il ajouter à cela le fait que lâUnion Européenne est en train de jouer sa liberté et son autonomie en matière de sécurité et de défense. Car à côté des discours on sâaperçoit que la sacro-sainte loi du marché à laquelle on a soumis toute lâindustrie dâArmement est en train de pousser les industriels européens vers les Etats-Unis.
On assiste aujourdâhui à une véritable transatlantisation de lâindustrie de défense qui va faire de nous plus sûrement des vassaux que nâimporte quel traité ou accord politique.
Le Gouvernement Français et les Gouvernements de lâUnion Européenne, sâils veulent une autonomie de décision en matière de sécurité, doivent avoir une industrie de lâArmement qui la permette, ce qui veut dire que doit sâexercer sur cette industrie une responsabilité publique et considérer définitivement que lâArmement nâest pas une marchandise comme une autre !
Malgré lâeffort justifié qui est fait sur lâentretien programmé des matériels ainsi quâen faveur des conditions de vie des militaires qui ont notre assentiment, Le Groupe Communiste et Républicain votera contre ce budget de la Défense qui ne correspond pas aux exigences dâaujourdâhui en matière de sécurité pour la France et lâEurope.