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Projet de Loi Programmation Militaire
28 novembre 2002
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Monsieur le Président, Madame la Ministre, Chers Collègues, Parce que ce débat sur la Loi de Programmation Militaire concerne la sécurité de nos concitoyens et de notre pays, il appelle une certaine tenue. Cela suppose de laisser de côté des appréciations outrancières dénonçant les uns comme« naufrageurs » de la Défense de notre pays pour mieux valoriser les autres qui en seraient les « sauveteurs », comme sâil y avait dans cette Assemblée des Elus de la Nation pour affaiblir notre Sécurité et dâautres qui en seraient les garants. Dâautant quâIl se trouve que la Loi de Programmation Militaire qui a été la mieux respectée depuis 30 ans est celle exécutée de 1997 -2002. ; Quâil se trouve que la plus forte baisse du budget de la Défense de ces 20 dernières années sâest située entre 1993 et 1997 (principalement en 1996). Quâil se trouve enfin que les problèmes touchant au maintien en condition opérationnel des matériels sont dus à la manière quelque peu précipitée avec laquelle sâest mise en uvre la professionnalisation qui a obligé à accroître un Titre III sous-évalué au détriment du Titre V, qui a sous-estimé le degré dâengagements des Forces et des Matériels, qui a vu par exemple les Services du Matériel de lâArmée de Terre se réorganiser en 1 année en perdant 30 % de leurs effectifs sans retrouver immédiatement lâéquivalent en compétence. Je ne tire pas comme enseignement de tous ces faits que la Droite serait un rassemblement de « naufrageurs » de la Sécurité de notre pays. Non je tire simplement de ces faits quâelle nâa pas de leçons à donner et que le débat que nous devons avoir, doit porter sur le fond plutôt que sur une mesquine « guéguerre » politicienne, que ce débat doit être à la hauteur des attentes, des inquiétudes mais aussi des aspirations à la Paix de nos concitoyens. La modestie est dâautant plus de mise que non seulement lâexpérience montre quâaucune Loi de Programmation nâa été respectée depuis 40 ans mais que le contexte économique actuel doit vous rendre très prudents. En effet, lâOCDE ne vient-elle pas dâévoquer pour la France : « Une situation budgétaire qui pourrait se dégrader encore davantage si la faiblesse conjoncturelle persiste », elle précise que « pour assurer la viabilité future des finances publiques... , dâimportantes économies budgétaires devront être réalisées dans le proche avenir ». On voit mal comment cette Loi de Programmation Militaire qui prévoit une augmentation de près de 20 % du budget dâéquipement à lâhorizon 2008, (à constants), comparé à la moyenne annuelle des LFI de 97 à 2002, passerait à travers des coupes budgétaires. Alors oui, décidément, les effets dâannonces et les déclarations triomphantes ne sont pas de mise ! Cela dit ce Projet de loi de Programmation Militaire pose des questions de fond concernant notre Sécurité. Après lâexcellent exposé de mon Ami Alain BOCQUET, je me limiterai à quelques points mais qui nous paraissent essentiels. La première question est : Avons-nous une stratégie et une politique de Sécurité et de Défense adaptées au monde dâaujourdâhui ? Notre réponse est non ! Sans doute ce projet de loi identifie assez bien des menaces que tout le monde connaît - comme le terrorisme - mais le problème est quâil nây a rien ou pratiquement rien sur le « pourquoi » de ces menaces. Or comment trouver le bon remède si lâon ne fait pas de diagnostic sur les causes ! Ainsi est bien évoquée « une situation internationale durablement dégradée... des facteurs dâinstabilité qui vont continuer à se manifester pour longtemps encore ». Dâaccord mais pourquoi ? On ne peut pas sâen tirer en évoquant des « tensions fortes » ou des « états défaillants » ou « le développement dâactivités illicites ». Ecoutons des Universitaires, des Sociologues, des Economistes, des Psychologues, des Historiens, ils sont de tous pays, ils ne sont pas Communistes et ils ne sont pas tous de gauche . Que disent-ils ? Ils disent : « Le Monde est malade ». Un Sociologue Allemand, Ulrich Beck , écrit après le 11 septembre : « Aider ceux qui sont exclus de la mondialisation nâest donc plus seulement une exigence humanitaire, mais lâintérêt le plus intime de lâOccident, la clef de la sécurité intérieure. Pour tarir les sources auxquelles se nourrit la haine de milliards dâêtres humains, et dâoù surgirait sans cesse de nouveaux Ben Laden, les risques de la mondialisation doivent être rendus prévisibles et les libertés et les fruits de la mondialisation distribués plus équitablement ». Tous soulignent la gravité, comme cet Historien Britannique, Eric Hobsbawn : « de la croissance des inégalités entre les pays et à lâintérieur des pays » et il évoque « lâidéologie du « laisser-faire » total qui a conquis une grande partie des Etats et des institutions internationales avec des résultats totalement funestes, à commencer par le fait dâavoir faciliter des activités transnationales, y compris criminelles et terroristes... la liberté totale du marché et de la circulation de lâargent nâa pas permis de contrôler ce qui a pu mettre les Etats-Unis en péril ». Et pour terminer sur ce point, je veux citer J . STIGLITZ, Prix Nobel dâéconomie, américain, ancien Conseiller de Bill CLINTON, évoquant le prix payé par de nombreux pays, dâune mondialisation guidée par « des intérêts commerciaux et financiers particuliers... lâenvironnement a été détruit... Les crises qui ont emporté dans leur sillage le chômage de masse ont légué des problèmes durables de dissolution sociale de violence urbaine, aux conflits ethniques » précisant « les Etats-Unis, bien sûr, ont été lâun des grands coupables ». Poser le diagnostic est la seule chance de pouvoir déterminer la politique et la stratégie adaptées. Or, à quoi assistons-nous ? A lâarrimage de lâEurope à des concepts stratégiques américains basés sur une vision militaro-militaire de la résolution des problèmes du monde où « il sâagit dâempêcher par tous les moyens -selon lâactuel Secrétaire dâEtat Adjoint de la Défense Américaine- toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient dâaccéder au statut de grande puissance et de décourager les pays industriels avancés de toute tentation visant à défier notre leadership et prévenir lâémergence future de tout concurrent global ». Or on sâévertue à copier tout de la stratégie US. Il y a aujourdâhui des urgences en matière de sécurité, câest vrai, il y en a surtout à imaginer une nouvelle politique de Sécurité et une nouvelle politique de Défense sur la base de quelques grands axes : · En priorité, agir à la hauteur nécessaire sur les déséquilibres du monde et dâabord sur les inégalités qui se creusent ainsi que sur des stratégies faussement intitulées « aides économiques » et qui se sont traduites pour bien des gens par la pauvreté et pour bien des pays par le chaos social et politique. Le développement et la coopération sont les seules solutions possibles à moyen et long terme pour sécuriser notre planète. Nous en sommes loin car ce qui domine câest la volonté dâun pays à sâassurer des ressources pétrolières et énergétiques du monde. Cela ouvre pour notre pays et lâUnion Européenne une formidable fenêtre pour un positionnement politique différent qui peut être compris et soutenu par une grande majorité des pays de la planète. En fonction de cette nouvelle pratique et des nécessités et menaces actuelles une réorientation des missions de nos armées doit sâopérer autour de trois grands piliers : · Ce qui devient ou redevient prioritaire, câest la protection des populations avec en 1er lieu la Sécurité du territoire National et Européen. · En second lieu câest lâaction humanitaire et de Paix. En posant deux conditions sans lesquelles ces interventions pourraient être détournées de leur objectif en utilisant notamment le prétexte de défense des valeurs de liberté, de solidarité, de justice pour en fait, défendre des intérêts strictement financiers et économiques particuliers voire privés. Ces conditions sont dâabord la définition de critères internationaux justifiant dâune intervention, ensuite assurer à celle-ci une véritable légitimité internationale qui ne peut être que celle dâune ONU rénovée et démocratisée. Enfin 3ème grande mission : lâintervention en matière de Sécurité Civile et assurer les renforts nécessaires lors de grandes catastrophes naturelles en France, en Europe et dans le monde. Aujourdâhui les deux piliers essentiels de notre Défense reposent sur une dissuasion nucléaire qui représente plus de 20% des dépenses de Défense, inadaptée aux menaces nouvelles, et aux missions évoquées à lâinstant et une « Projection » transcrite dâune vision américaine faite de fébrilité militariste davantage tournée vers une politique de puissance que vers de vrais actes de paix en sâinterposant par exemple entre Israéliens et Palestiniens. Sans augmentation budgétaire mais par une redistribution interne, -maintenant le nucléaire en veille et réorientant la Projection vers un but strictement humanitaire-, il serait possible de satisfaire à ces nouvelles missions définies à lâinstant. Cela suppose : · de renforcer la protection des approches aériennes et maritimes de la France et de lâUnion Européenne, · de donner des moyens plus conséquent à lâinformation et au renseignement humain et par satellite, · de créer un service civil et militaire pour la Sécurité intérieure et la Sécurité civile venant épauler lâarmée et les pompiers et servant de réservoir à lâune et à lâautre. · de transformer la force de projection française et européenne en force de prévention, dâinterposition et dâaction pouvant être mise à disposition de lâONU sous réserve dâune définition internationale des critères dâintervention, · enfin, mais ces quelques points ne sont pas exhaustifs naturellement, le développement dâune recherche duale et européenne ce qui aurait le double avantage dâen diminuer les coûts et dâen accroître lâefficacité. Je voudrais terminer sur une autre question essentielle qui est celle de lâautonomie stratégique revendiquée par votre PLPM. Câest évidemment un noble objectif auquel tous nos concitoyens peuvent souscrire, mais quâen est-il vraiment au delà de lâaffichage ? Il est dâabord assez significatif dans ce PL que lâon ne puisse pas évoquer notre autonomie sans ajouter immédiatement quâelle va de pair avec « la solidarité transatlantique » mais rien ne dit jusquâoù doit aller cette solidarité ? Et il ne sâagit pas là dâanti-américanisme, il y a suffisamment dâaméricains qui contestent les choix de lâadministration actuelle pour se dire quâil serait judicieux, pour le moins, de fixer les limites de cette solidarité. Nous aurons peut-être lâoccasion dâailleurs dâen juger avec le problème de lâIrak. Dâautre part que veut dire autonomie quand les Etats-Unis gèrent lâOTAN à leur convenance et que leur fidèle serviteur G. Robertson -secrétaire Général- déclare que désormais câest « lâOtan qui coordonnera notre Défense contre le terrorisme ». Voilà un vrai scoop qui a probablement été débattu quelque part mais pas à lâAssemblée Nationale tout comme cette idée initiée à Washington dâune force de réaction de lâOTAN, - nouvelle force de projection- que lâon semble créer un peu pour montrer que lâOTAN sert toujours à quelque chose mais surtout pour soumettre un peu plus les Européens aux choix américains, contrecarrer la constitution de la force européenne surtout quand lâobjectif est de mettre cette force et lâensemble des forces de lâOTAN en compatibilité avec les armements et les technologies dont disposent les Américains. Sans doute le Président de la République a émis quelques réserves, câest bien le moins que lâon puisse faire lorsquâon assiste, selon lâexpression dâun journaliste non communiste, « à ce véritable hold-up américain sur lâOTAN ». La question de lâautonomie stratégique est une question clef sauf à ce que lâUnion Européenne devienne un clone des Etats-Unis. LâEurope et une politique Européenne de Sécurité et de Défense nâont de sens que si elles sont autonomes. Cela suppose une politique étrangère commune -ce nâest pas vraiment le cas- cela suppose une autre vision du règlement des problèmes mondiaux. Câest la seule chance pour la France et lâEurope dâexister ! Câest aussi leur chance dâêtre reconnues par la communauté internationale comme mettant en uvre une politique respectueuse des peuples, de leur culture et de leurs ressources. Câest exactement lâinverse des choix américains. Enfin, cette autonomie déjà si fragile, risque dâêtre engloutie totalement si on laisse dériver lâIndustrie dâArmement vers ce penchant naturel de lâéconomie mondialisée et financiarisée de gagner de lâargent à tout prix sans aucune considération autre que celle de la hauteur du revenu des actions. Comment développer une véritable politique industrielle française et européenne en laissant faire une loi du marché prédatrice et qui plus est dans un secteur stratégique ! Considérer lâarmement comme une marchandise comme une autre est une erreur funeste ! Cette loi, ce choix dâun guidage de lâéconomie uniquement par la finance débouchent sur une véritable transatlantisation des Industries dâArmement et à une rapidité inquiétante. Les Américains ont déjà pris des positions très fortes dans tous les domaines de lâIndustrie de Défense Européenne : électronique, Aéronautique, Navale, Terrestre. · Raytheon avec Thales · Northrop-Grunman et EADS · ATK avec Rheinmetall Plusieurs entreprises US sâintéressent à Kraus-Maffei Général Dynamics a déjà aspiré lâEspagnol Santa-Barbara. Sans parler de prise de contrôle dâactionnaires à majorité américains chez Alcatel et Lagardère ou du rapprochement de la « Navale » Allemande avec les Etats-Unis. Dans ce cas-là, il est vrai comme lâa dit un spécialiste du Ministre de la Défense US que les choses peuvent aller vite afin que « les alliés « se branchent » sur une architecture globalement américaine ». Lâoffensive récente pour tenter dâimposer dâune manière habile un avion de transport US (C 17) afin de couper les ailes de lâA400 M est révélatrice non seulement dâun état dâesprit mais aussi de la poursuite dâun objectif qui consiste à soumettre lâarmement à une main-mise américaine quasi complète. Soyons clairs : il nây aura pas dâIndustrie Européenne de Défense libre et autonome si on laisse se poursuivre cette course effrénée à la marchandisation de lâArmement. Quant à GIAT que lâon a voulu lancer dans cette folle aventure il y a 10 ans, on sait ce que cela lui a coûté alors quâon lui reproche aujourdâhui de ne pas être, compétitif, par exemple pour les munitions classiques, avec un pays en guerre permanente comme Israël et qui, de plus, se joue des résolutions de lâONU. Ne parlons pas des Etats-Unis où la moitié des coûts des armes vendues sont payés par lâargent public ! De plus, câest sur la base de cette concurrence biaisée que lâon vient expliquer aux salariés de GIAT que cela compromet la viabilité des sites de production correspondants. Mais quelle est cette loi sauvage qui invoque une compétitivité truquée aboutissant sans que personne sâen émeuve à une perte de compétences en France et en Europe uniquement parce quâun marché faussé- en aurait décidé ! Avouez que si une telle loi du marché pure et dure doit mener à des abandons politiques, économiques et stratégiques, et qui de plus coûte des emplois et des gaspillages de compétences, nous avons le droit et le devoir dây réfléchir à deux fois. Non Madame la Ministre, ce nâest pas la logique industrielle qui prévaut et encore moins une logique de préservation de nos compétences et dâindépendance en matière de fabrication dâarmement, câest une logique purement financière. GIAT doit être un élément dâun véritable pôle public de lâArmement en France ouvert aux coopérations européennes. Un groupe de travail interministériel devrait se réunir avec lâobjectif de favoriser la diversification des activités de GIAT vers le Transport en commun, lâaéronautique, les matériels de protection civile, le risque industriel et environnemental. La DCN à laquelle on sâapprête à faire subir le même sort quâà GIAT, et nâest pas assurée dâobtenir les charges de travail auxquelles elle peut prétendre, doit être également intégrée à ce pôle public de lâArmement. Par ailleurs lâexemple de MBDA avec lâabandon du Trigan et donc de la compétence anti-char en France et en Europe est significatif du fait que ce sont plus des logiques industrielles et stratégiques qui commandent (+perte de 300 emplois à Bourges). Retirer lâarmement de la marchandisation est la seule façon de préserver des emplois, des savoir-faire et des compétences qui sinon se dilueront dans les fusions-intégrations, gérées de près ou de loin, par les entreprises américaines. Il faut également si nous voulons sauver une Industrie Française et Européenne dâArmement, examiner comment aboutir à une préférence communautaire en matière de choix dâarmement. En conclusion je voudrais redire que ce PLPM, basé sur des orientations datant de 8 ans, dans un monde qui a profondément bougé depuis est inadapté. Inadapté aux menaces actuelles, Inadapté davantage encore aux changements de pratiques politiques et économiques indispensables à la Paix du Monde, Inadapté car il livre notre liberté de choix en matière dâarmement à la loi des marchés financiers alors quâil faudrait en finir avec le laxisme à leur égard. Nous voterons donc contre ce PLPM, tout en saluant lâabnégation et le courage de nos militaires qui dans le cadre dâune restructuration menée à marche forcée ont accompli de nombreuses missions extérieures et intérieures dans des conditions le plus souvent dangereuses, ils ont droit à notre respect. Nous devons penser également à leurs familles qui doivent vivre souvent dans lâinquiétude et nous trouvons légitimes les demandes exprimées concernant la revalorisation des conditions de vie et de salaires de nos militaires, et des personnels civils. Nous demandons que sur ces points, non seulement ils puissent être entendus mais quâils aient plus de capacités encore pour les exprimer Notre autonomie en matière stratégique, notre liberté dâappréciation et de choix demandent que la France et lâEurope sâorientent vers une nouvelle politique de Sécurité et de Défense qui corresponde aux aspirations actuelles des peuples à la Paix et à la Liberté.
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Jean-Claude Sandrier
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